L'offensive du Chemin des Dames au printemps 1917

L’histoire d’Hippolyte, sapeur pendant la Première Guerre Mondiale

Hippolyte, sapeur pendant la Première Guerre Mondiale

Hippolyte Georges Armand DELYSLE est né le 26 septembre 1889 à Coutances (Manche), 39 rue des Piliers. 3ème enfant d’une fratrie de 7, dont les deux aînés sont décédés avant sa naissance. Il est le fils d’Adolphe Abel DELYSLE (1858-1935), quartier-maître canonnier et d’Eugénie Marie DROUET (1859-1939), ménagère. Dès ses 25 ans, il sera sapeur pendant la Première Guerre Mondiale.

Aldophe Abel Delysle, père d'Hippolyte, sapeur pendant la Première Guerre Mondiale
Eugénie Marie Drouet, mère d'Hippolyte, sapeur pendant la Première Guerre Mondiale

Hippolyte DELYSLE et ses parents Adolphe et Eugénie.

Service militaire et mobilisation

En 1911, Hippolyte est exempté militairement pour « faiblesse générale ». Cependant, en 1914, la Première Guerre Mondiale éclate. Le Conseil de Révision de la Manche le déclare bon pour le service armé le 28 novembre 1914.

Hippolyte est affecté comme sapeur-mineur au 6e Régiment du Génie d’Angers qui prendra lui aussi part à la Première Guerre Mondiale. Il part donc aux armées le 21 février 1915, en campagne contre l’Allemagne. Il est néanmoins difficile de déterminer la Compagnie à laquelle il appartenait à cet instant. Mais il a vraisemblablement rejoint le front en Champagne ou en Picardie.

Puis, le 3 juin 1915, Hippolyte rejoint la Compagnie 20/2 du 10e Régiment du Génie. Même si la Cie 20/2 dépend du 10e Régiment du Génie, elle fait aussi partie de la 39e Division; aux côtés de plusieurs régiments d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie. Ces régiments réalisent souvent leurs missions conjointement.

Le 10e régiment du génie

Les missions d’un sapeur du génie sont ainsi à la fois périlleuses et essentielles pendant la Première Guerre Mondiale : aller en avant de tous; couper les fils de fer ennemis; détruire leurs objectifs sous les nappes de balles des mitrailleuses ennemies; pénétrer dans les tranchées allemandes en tête de l’infanterie; construire des passerelles et organiser la défense. Il n’est donc pas un genre de guerre ou un travail technique qui n’ait été pratiqué par les Compagnies du 10e génie. En effet, ce Régiment, représenté partout sur le front par ses Compagnies, a combattu et travaillé chaque jour sans répit. Chaque jour fut pour lui un jour de gloire. Ces sapeurs sont également, comme disaient les Japonais lors de leur attaque de Port-Arthur (guerre russo-japonaise); « les Chevaliers de la Mort certaine ».

10e Régiment du Génie dont faisait partie notre sapeur pendant la Première Guerre Mondiale

Le « Labyrinthe »

À l’arrivée du sapeur Hippolyte, la 20/2 construit des observatoires rapprochés et organise le terrain d’attaque au Labyrinthe, au nord d’Arras (Pas-de-Calais), qui fut l’un des importants enjeux de la Première Guerre Mondiale; « un immense champ rempli de trous, de boyaux, de tranchées, de monticules de toutes formes, le tout hérissé de fil de fer barbelé et de chevaux de frises. C’est à croire qu’une monstrueuse charrue a passé par là, retournant, remuant, creusant, arrachant des monceaux de terre. Par ailleurs, des milliers de cadavres y pourrissent sans sépulture. Sous les pieds le sol enfonce, c’est donc qu’on vient de marcher sur une poitrine. Il ne faut pas songer à creuser, la pioche entre aussi dans les crânes ou dans des ventres avec un son horrible. Les asticots sautent de tous côtés, car il fait chaud. La vermine pullule et le moindre lambeau de chair est ainsi rongé jusqu’à l’os. »

Ainsi, l’organisation de cette région, bouleversée par les obus et les torpilles qui pleuvent, est un terrible travail. Ce ne sont qu’attaques de petites unités, accompagnées de détachements du génie. Le sang des sapeurs des cinq Compagnies du 10e génie et des trois Compagnies bis, se répand généreusement sur le sol d’Artois. Les braves unités du 20e corps partent au repos en Lorraine le 4 juillet 1915. Elles s’entraînent ensuite avec ardeur en vue d’autres attaques.

Le Front de Champagne

« Le 26 août 1915, la 20e compagnie embarque en chemin de fer à Lunéville (Lorraine). Puis elle débarque à Blesmes (Aisne) le 27. Ainsi reformée, reposée, entraînée, prête à entreprendre de nouvelles luttes, elle va préparer une attaque dans le secteur Beauséjour–Maisons-en-Champagne (Marne). On déclenche cette offensive le 25 septembre et les détachements du génie ont toujours les mêmes tâches évoquées précédemment. Après avoir détruit les réseaux, ils organisent le terrain conquis par les régiments de la 11e et de la 39e division, en particulier la butte du Mesnil. Compagnies divisionnaires et Compagnies de corps rivalisent d’ardeur et de bravoure. Sérieusement éprouvées, elles continuent néanmoins à organiser le secteur sous les bombardements ennemis jusqu’au 23 décembre 1915. On relève ensuite la 20/2 à cette date et elle part en repos entre la Lorraine et les Vosges.

Arrivée à Verdun

Du 22 au 23 février 1916, Hippolyte et ses compagnons embarquent en chemin de fer; puis en camion jusqu’à Regret, aux portes de Verdun (Meuse); « Nous sautons dans la neige qui nous vient à la cheville et nous fige le sang. Devant nous, derrière nous, partout des camions déversant des hommes qui se rangent silencieusement. Quatre files de voitures montent et descendent le long de la route et se perdent tout près dans le brouillard blanc. Et ce qui nous rend tout triste, ce n’est ni le froid, ni la fatigue, ni le pays désolé. Ce sont des groupes lamentables de pauvres gens qui fuient l’Allemand.

Des femmes s’en vont, poussant une brouette où est entassé tout ce qu’elles ont trouvé au dernier moment. Elles vont, la bouche ouverte sous l’effort qui les essouffle et la neige se mêle à la sueur de leurs pauvres fronts ; des vieillards marchent lentement ; plus courbés que d’habitude sans doute, car ce chemin qu’ils suivent est peut-être le dernier; ils ne se retournent même plus pour voir encore le village qu’ils ont quitté; à quoi bon, la neige est bien trop épaisse et leurs yeux bien trop las.

Une fillette de huit ans, à peine vêtue, les cheveux collés aux tempes et à ses joues violettes de froid, porte sur ses épaules son frère qui ne marche pas encore. Des hommes en la voyant, détournent la tête. On ne sait trop si c’est la neige fondue ou quelques larmes qui ont rendu leurs yeux humides. Verdun brûle, des 380 et des 420 tombent régulièrement, ponctuant de coups plus forts le roulement sourd du bombardement. »

La Bataille de Verdun

Le 23 février 1916, les Allemands avaient en effet déclenché une formidable attaque; ils croient déjà annoncer au monde la prise de Verdun, « la plus grande forteresse française ». Un bombardement d’une violence inouïe détruit les ouvrages avancés, écrase les malheureuses troupes qui les occupaient. Les divisions qui subissent cet assaut doivent sans retard être renforcées par des divisions fraîches, prélevées sur tout le front français.
C’est ainsi que la Cie 20/2, retirée de Lorraine, entre dans la fournaise.

Tandis que les régiments de la 39e division défendent héroïquement le village et le secteur de Bras (Meuse), le sapeur Hippolyte et ses compagnons de la 20/2 jouent en première ligne le rôle de Compagnie d’infanterie aux côtés de la 20/52 elle aussi empêtrée dans cette guerre mondiale. La 39e division et Hippolyte occupent ensuite le secteur de Thiaumont puis se retirent le 11 mars, ayant perdu plus de la moitié de leur effectif : « au petit jour lorsqu’on se compte, quelques noms appelés par l’officier restent sans réponse, et ce sont des moments très tristes, car on sent bien que c’est pour la dernière fois qu’on appelle ces noms-là. »

Soldats et sapeur durant la bataille de Verdun 1916 pendant la Première Guerre Mondiale

Le calme avant la tempête

Hippolyte et ses compagnons se reposent à Saint-Dizier (Haute-Marne) du 12 au 21 mars 1916. Le jeune sapeur trouve un peu de répit au cœur de la Première Guerre Mondiale. Puis, ils se cantonnent à Ville-sur-Saulx, dans la Meuse, jusqu’au 26 mars. Du 26 au 30 mars ils couchent dans la boue dans les bois de Béthelainville avant de s’établir dans des abris extrêmement humides sur la cote 310, au nord de Montzéville. Ils occupent ensuite les tranchées aux côtés du 142e RI avant la relève du 19 avril. Ils retournent alors bivouaquer dans les bois de Béthelainville.

Hippolyte et sa compagnie sont cités à l’ordre de l’armée le 4 avril 1916; « La 39e division d’infanterie (compagnie 20/2 du 10e régiment du génie); après s’être distinguée dans toutes les grandes opérations de la campagne, s’est très brillamment comportée en mai et septembre 1915; vient de se montrer à nouveau, sous le commandement de son chef, le général NOURRISSON, digne de son passé en contribuant à arrêter l’offensive allemande du 25 février 1916 et cela sous un effroyable bombardement. A cédé aux troupes qui l’ont relevée une situation nettement définie. »

Bataille de la Somme

Du 17 mai au 30 juin 1916, la compagnie 20/2 prépare le secteur d’attaque de la Brasserie de Maricourt, dans la Somme. L’offensive démarre le 1er juillet 1916. Malgré la soif, le 20e corps doit attaquer dès le premier jour sous une chaleur torride et un feu d’enfer. Épuisée, la compagnie 20/2 n’en accomplit pas moins la tâche qui lui incombe. Le 11 juillet, on accorde un repos bien mérité à Hippolyte et ses compagnons qui partent à Bray-sur-Somme jusqu’au 26. Ils y resteront ensuite jusqu’au 8 août, réparant les routes et posant des réseaux dans des zones de terrain continuellement battues par l’artillerie et les feux de mousqueterie ennemis.

Jusqu’au 9 septembre, la compagnie 20/2 part en repos à Touffreville, au nord de Dieppe (Seine-Maritime) : « Nous sommes au bord de la mer pour quelque temps. Nous nous sentons revivre et nous oublions un peu le cauchemar d’hier. Tout est lumineux ici et les horizons semblent bien plus larges, puisqu’ils ne sont plus barrés par les réseaux de fil de fer. La journée se passe en promenades et point n’est besoin de courber le dos. Nous n’avons plus cette appréhension de quelque chose suspendu en l’air qui tomberait sur nos têtes. Les sapeurs s’en donnent à cœur joie et prennent les bains de mer aux frais du gouvernement. »

La Compagnie alterne cantonnements et périodes d’instruction militaire et technique jusqu’en novembre 1916. Elle part ensuite organiser les premières lignes de la Somme. C’est un épisode excessivement pénible en raison des bombardements d’une extrême violence et de la boue où l’on s’enfonce parfois jusqu’à mi-corps. Puis l’offensive de la Somme se termine et une période moins agitée commence.

Le Chemin des Dames

De la fin janvier au 14 avril 1917, les hommes de la 20/2 préparent une nouvelle offensive dans l’Aisne. Ils construisent des boyaux (boyaux d’évacuation, boyaux téléphoniques), passages sous route, abris, postes de secours et parallèles de départ avec gradins de franchissement.

L'offensive du Chemin des Dames au printemps 1917 pendant la Première Guerre Mondiale
L’offensive du Chemin des Dames au printemps 1917, imaginée et dirigée par le Général Nivelle, qui se soldera par un terrible échec français. ©Lee/Leemage

Le 16 avril 1917, commencent les attaques de l’Aisne. Leur objectif est de conquérir le Chemin des Dames, de franchir l’Ailette et d’enfoncer les positions de résistance de l’ennemi. Des combats sanglants se déroulent alors sur ce Chemin des Dames à jamais célèbre. La compagnie 20/2 est sectionnée en deux pour cette offensive. Hippolyte fait probablement partie du 2e peloton sous les ordres du lieutenant FERRY. En effet, ce peloton se tient à la disposition du 146e RI, dans la parallèle 3. Tous les sapeurs composant ce peloton doivent porter un matériel lourd et encombrant (bastings refendus, caillebotis, planches, etc). Leur mission consiste à établir des passerelles légères sur l’Ailette dès que l’infanterie occupera la crête du Chemin des Dames.

Lancement de l’offensive

À 6h, dès le déclenchement de l’attaque, le 146e RI doit avancer en direction de Chivy. Il ne peut cependant déboucher en raison des nombreuses mitrailleuses ennemies. La préparation d’artillerie a été insuffisante. Ainsi, les premières vagues d’assaut subissent des pertes sévères. Le 2e peloton du génie, également arrêté dans sa progression, doit regagner ses positions de départ.

Au cours de cette marche en avant, le lieutenant FERRY reçoit une balle qui lui traverse l’épaule et le cou. Il tombe ensuite dans les réseaux de fil de fer ennemis. Cependant, la fusillade redouble. Ainsi, le malheureux n’a pas la force de se dégager et il risque de recevoir encore d’autres balles. Quelques courageux sapeurs s’élancent alors vers lui, ils sont à découvert et les mitrailleuses crachent sans arrêt. Qu’importe, ils s’avancent malgré tout, le dos courbé sous la pluie de balles et le ramènent avec peine dans nos lignes. Le lieutenant FERRY ne survivra pas à cette blessure. Hippolyte Georges Armand DELYSLE est également grièvement touché au cours de cette retraite. Il décède de ses blessures le 16 avril 1917, dans l’ambulance 3/20 aux abords de Moussy-Verneuil (Aisne). Il avait 27 ans, sans femme ni enfants.

Récompenses et citations

Mort pour la France, Hippolyte est aussi cité au Champ d’Honneur du 10e Régiment du Génie, Compagnie 20/2. Son nom se trouve également sur le Monument aux Morts de Coutances, sur la fresque du hall d’Honneur de la Mairie de Coutances et sur la plaque commémorative de l’Église Saint-Nicolas-de-Coutances.

Son corps sera rapatrié le 13 janvier 1922 avant d’être inhumé à Coutances (Manche).

Le Lieutenant-Colonel FENEON, commandant le dépôt du 10e Régiment du Génie, le décorera également le 19 avril 1921 à Toul (Meurthe-et-Moselle), à titre posthume, de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre avec étoile d’Argent : « Excellent sapeur. Mortellement blessé le 16 avril 1917, à l’attaque du Chemin des Dames. »

Médaille militaire 1870 et Croix de Guerre étoile d'argent
Médaille Militaire de 1870 et Croix de Guerre avec étoile d’argent

Hommage à compagnie 20/2

Sapeurs, vous avez été de toutes les grandes attaques, de toutes les grandes retraites. Quel est le « bon coin » où vous ne vous êtes pas battus ? La grande avance où vous n’avez marché ? Le glorieux revers où vous n’avez reculé pied à pied, vous défendant comme les Français seuls savent le faire ?

Ce que vous avez souffert, vous seuls le savez ; la faim, la soif, le froid, les fatigues n’ont jamais réussi à diminuer en vous votre courage superbe.

Et tout ce que vous avez fait, vous l’avez fait simplement, comme une chose nécessaire et juste ; vous vous êtes dit : « Si je souffre dans tout mon corps et dans toute mon âme, c’est pour la réalisation du grand idéal de la France et du bien. Je ne combats pas seulement pour la Justice et l’Humanité. Ce sont des mots que j’admire mais que je ne comprends pas bien ; je combats aussi pour les miens, pour éviter à mes enfants un malheur pareil à celui que j’endure ; qu’importe si j’y reste puisqu’ils seront heureux après mon sacrifice. »

Sapeurs, vous avez bien mérité de la France.

Elle vous en remercie, soyez-en sûrs et comme suprême récompense de votre abnégation et de vos sacrifices, elle dira plus tard à l’Histoire en parlant de vous : « Mes sapeurs de la 20/2 ».

Sources complémentaires

Sources complémentaires à Ma-Généalogie.net:
Historique du 6e Régiment du Génie
Historique du 10e Régiment du Génie
Histoire de la Compagnie 20/2 du 10e Régiment du Génie

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